Récit : Chili 2011

Fragments de vide au bord du monde
Séjour du 26 janvier au 11 février 2011. Chili, Hacienda des Etoiles. 30° 32' 02 S, 70° 47' 47 O.

 

Episode I : vers l'horizon.
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Mercredi 26 janvier 2011, 12h06 heure locale. Je quitte Strasbourg sous une pluie froide. Me reviennent les vers du poète :

The woods are lovely, dark and deep,
But I have promises to keep,
And miles to go before I sleep,
And miles to go before I sleep.
Stopping by Woods on a Snowy Evening, 1923
Robert Frost

Au bout du voyage, le bord du monde m’attend. Le Chili. L’Hacienda des étoiles. Promesse d’un ciel de cristal.
Le train à grande vitesse égrène les kilomètres en répétant obstinément  “tougoudoum-doum”... The woods are lovely... But I have promises to keep... And miles to... before I sleep... before I sleep...
J’arrive à Roissy à 14h30. Le vol de nuit doit décoller à 23h20. 9h d’attente. Le terminal 2E est un mélange de Tati, de vaudeville, de comédie humaine. Les valises dégringolent. Les couples se houspillent. Les japonais passent.
Vers 20h, je fais la connaissance de Guy, Estelle, Xavier. Nous avons correspondu de temps à autre, un peu. Rêvé de ce voyage depuis près de 2 ans, beaucoup sûrement. J’apprends que nous embarquons un T406, qui restera à l’Hacienda. C’est bien, me dis-je ironiquement : on a toujours besoin de petit matériel... D’ailleurs nous sommes abondamment pourvus. Guy embarque son flying dobson de 300mm, une tv 76, et la gamme complète d’oculaires Nagler. Xavier son Strock 250, et quelques Naglers bien sentis. Estelle voyage léger, avec une paire de 10x50. Mais elle utilisera abondamment la tv 76. Moi qui me sentais un peu nerveux, tel un diamantaire d’Anvers, à trimballer mes 2 Naglers, une paire de 15x70, un reflex et quelques objectifs. J’ai finalement bien peu de verroterie.
23h20. Le vol de nuit s’en va, comme disait la chanson. Nous planons au-dessus de l'Atlantique, en descente sur une très longue pente sud-ouest. Ni vivants ni morts, dixit Brel. Dans un état intermédiaire, comme en animation suspendue. Boîte de Schrödinger... Un monde s’éloigne. Un autre appelle.
Quelques turbulences au-dessus de l’Atlantique sud. Des coffres à bagages s’ouvrent. Claquements impératifs. J’ouvre un œil. Puis somnole. And miles to go... And miles to go... Je relève le volet du hublot à intervalles réguliers, ne vois rien ou si peu d’étoiles. Je tente de somnoler encore...
Jusqu’au matin. Lumière solaire. Les Andes s’étendent à perte de vue. Les pentes sont vertigineuses. Les sommets, enneigés. Diversité des teintes, ocre, terre brûlée, marron, brun, blanc. Le ciel est d’un bleu coronal. La lumière, très blanche.

Aéroport de Santiago, 30°. Couleurs, lumières et sons, la belle langue espagnole. J’ai ouvert une porte sur l’été ; je pénètre dans une serre tropicale. Fais connaissance avec Raymond, propriétaire de l’Hacienda, qui est exceptionnellement venu chercher ses hôtes, car porteurs il est vrai du précieux 406. Nous filons bon train sur la panaméricaine. Au bord de l’autoroute, tout un peuple de vendeurs essaye d’attirer notre attention : fruits, légumes, eau. Des fanions et autres bouts de tissu sont agités, pour nous convaincre de stopper sur la bande d’arrêt d’urgence faire quelque emplette.
A gauche, le Pacifique développe ses rouleaux. Il est gris, aujourd’hui, me dit-on. Mais je ne sais comment il est, les autres jours... Raymond accélère encore, pied au plancher. Nous remontons vers le nord, direction Ovalle - La Serena. Tout défile, c’est une frise colorée, un dessin animé accéléré, je suis en état d’hypnose : je n’ai pas dormi depuis plus de 24h.
Ovalle, au bord du Pacifique. Je rassure la France d’un coup de fil, ou plutôt de fils, fils emmêlés d’une boutique de télécommunications internacional, aux cabines de bois grinçantes. Beaucoup de bricolage, beaucoup de sympathie, beaucoup de bonne humeur. Beaucoup de fils. Et de vieux modems. J’espère que vous allez bien... Que le vaya bien !

Nous changeons de véhicule. La camionnette cède la place au 4x4. Je suis parti depuis près de 30h et me crois, bien naïvement, au bout de mes peines. Que nenni. Sur les chapeaux de roues, nous franchissons les dernières routes praticables. Virages sur lacets, en boucles infinies. Le temps lui-même se distord : il passe par des phases d’accélérations, puis de ralentissements. Les pneus crissent. Un dernier village, El Romeral. Puis la piste. Ah, la piste de l’Hacienda. Nous bondissons, tangage, roulis et lacet tout ensemble. Une bande d’astrams bondissants, voici ce que nous sommes devenus, me dis-je ! Une bonne heure plus tard, nous abordons le petit pont de bois. Celui qui ne tient plus guère. Mais Raymond le négocie, comme on négocie avec un vieil ami. Et la piste reprend, renaît, repart de plus belle. La notion de fatigue elle-même est dépassée. Trépassée. Incongrue.
Au détour d’un virage rebondissant, l’Hacienda. Sur un vaste terrain de collines semi-désertique, une poignée de bungalows dispersés. Et au centre était une colline. Et au sommet de cette colline... Mais c’est une autre histoire.
Nous sommes accueillis par Nadine. Prenons possession de nos bungalows. Posons enfin nos lourdes malles. Je suis parti depuis 32h. M’étale de tout mon long sur cet accessoire obscènement confortable : un matelas. La sensation de confort est inouïe, presque insupportable. Je suis rappelé à la réalité par quelques fourmis urticantes, qui seront vite chassées et ne reviendront plus.
Il y eut un premier Pisco, il y eut un premier dîner. Je ne pensais plus. Mon âme s’était détachée de mon corps. Elle flottait là, dérivant mollement et, je dois dire, un peu stupidement, quand quelqu’un qui pensait, lui, cria : la NUIT !!
Nous ne fîmes qu’un bond. Passage de la lumière au noir absolu, sans accoutumance. Le ciel... Le Ciel est un Dali sous hallucinogène. Je sens venir un rire nerveux. Ce n’est pas possible. La voie lactée s’étire d’un horizon à l’autre, est - ouest. Mais quelle voie lactée. Elle est extrêmement contrastée, tourmentée de volutes noires, de nébuleuses obscures qui donnent, c’est impossible, une sensation de relief, de, mais oui, de volume. Je suis dans un volume d’espace. Les nuages de Magellan sont éclatants. Je discerne aisément la Tarentule. Il me semble que ses yeux luisent.
Proche du zénith, Orion. Le chasseur familier est dans une position étrange,  tête la première. Cœur battant, je lève les yeux vers M42. Elle est brillante. Etendue. Elle brûle. Il me semble distinguer des flammèches ! Je tangue, bascule, c’est impossible. Je dois être dans l’avion encore, fantasmant un ciel de folie dans un rare micro-sommeil... Je pivote, tombe en pâmoison devant un gigantesque globulaire qui perce le ciel sans pudeur. Il me semble énorme et très brillant. Dans le noir total nous nous frôlons, je m’entends bêler stupidement : - est-ce Oméga ? Mais je réalise en le disant que le Centaure ne peut être levé. - Non, c’est 47 Toucan, répond la voix de Xavier. Je sens la démence me guetter, comment Omega du Centaure doit-il être si ce monstre qui embrase le ciel, qui me restitue presque une ombre, n’est “que” 47 Toucan ? 

 

Vite, dans le noir total éclairé seulement par le ciel fou, le ciel-qui-rend-fou, je me précipite vers mon bungalow, éventre mon sac de voyage à la recherche de la lampe frontale et des jumelles. Le rouge me paraît éblouissant, mais je ne crains plus d’embrasser un cactus géant. Car ici ils mesurent couramment 2 mètres. Courir follement dans le noir est pour le moins périlleux. D’ailleurs je ne suis pas le seul, le terrain est vaste mais j’entends qu’on s’agite. Devine que devant le bungalow de Guy, on met fébrilement la tv76 en batterie. J’ai un moment d’hésitation en portant mes 15x70 aux yeux. Après tant d’années de ciels approximatifs, mon échelle de qualité vient de connaître sa révolution copernicienne. Le ciel de moyenne campagne alsacienne que je croyais correct par grand beau temps, est subitement devenu passable. Tout juste passable. Et ce que je croyais passable est devenu médiocre. Quant à ce que je croyais médiocre mais praticable, dans mon environnement urbain...
Alors pour m’achever, je porte les jumelles à mes yeux. Le grand nuage de Magellan déborde largement le champ. La Tarentule est comme perchée dessus. Elle ne luit pas, elle brille. Ses petits yeux sont perçants ; son corps, tourmenté de volutes, de nodules... Le petit nuage est à peine plus discret ; il raconte déjà l’histoire d’une petite galaxie errante... 47 Toucan est un puits de lumière granuleux. C’est certes une sphère... Mais la perspective se renverse, c’est un puits... A moins que ce ne soit une fontaine. Une fontaine blanche. Oui les cartes, les atlas mentent. 47 Touc est en réalité une fontaine blanche, d’ailleurs je perçois distinctement les billes, les bulles de lumière mousseuse qui en éclaboussent les rives obscures...  Ah c’en est trop, la raison déraisonne. Pour me calmer, je pense revenir sur un terrain familier. M42. La vision de la plus connue, de la plus courue des nébuleuses boréales devrait calmer mon cœur. Rien de tel qu’un terrain familier, bien balisé, me dis-je en pivotant pour calmer la précédente bouffée délirante, qui ne devait être qu’un épiphénomène dû à la fati... Le signal désespéré que mes yeux m’envoient tait d’un seul coup la voix de la Raison. Je croyais tant avoir vu et revu M42. Enfant déjà, à l’âge de 12 ans, dans le jardin familial, je... OH. C’est un gigantesque oiseau de feu qui emplit le champ.  Le cœur brillant étincelle de lumière. Les ailes sont vastes, très largement déployées. Vertes, elles laissent aussi deviner de grandes extensions marron. Des fibres se déploient dans des voiles de fumée. Des volutes s’enlacent. La sensation de profondeur est évidente. Je suis encore pris de vertiges. Et ce ne sont que les premières fois. J’en parlais avec Guy qui me confiait qu’on lui demande, parfois, pour quelle raison il se rend dans l’hémisphère austral si c’est pour observer aussi des objets boréaux. J’ai la réponse, vertigineuse, sous les yeux. Ce vaste oiseau de feu qui incendie la nuit ne saurait être un parent, ni même un cousin germain, de l’oisillon étique que je visitais blasé sous nos cieux de campagne. Je réalise que les vertiges seront nombreux. Encore tant de nuits. J’entends qu’on s’exclame dans cette nuit. Le ciel qui rend fou est au rendez-vous. La bonne compagnie aussi. Le séjour sera exceptionnel.
Ce jour-là, cette nuit-là, je ne sais plus, cela doit faire 40h que je n’ai pas réellement dormi, j’écris une seule phrase dans mon carnet, la première :
“Ici le ciel est sauvage, dévorant et fou ; chaque soir il prend la terre et l’étreint dans un accès de beauté”.




Episode II : Touche le vide

Episode précédent : “Vers l'horizon”  http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/001657.html


Et au milieu était une colline. Et sur cette colline, un observatoire. Voici l’endroit, voici le lieu, le théâtre des contemplations. C’est un cirque, un cirque lunaire, planté de buissons. Des genévriers ? Raymond m’en donne le nom espagnol. Je l’oublie aussitôt.
L’observatoire lui-même est une construction en bois à toit roulant, qui abrite un C14. Le terrain alentours accueillera les autres instruments, qu’ils appartiennent à l’Hacienda ou qu’ils soient de passage. En villégiature australe.

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Il y a là-haut une heure, et c’est une belle heure. Au crépuscule, le ciel se pare de teintes exotiques. Des oranges purs, des jaunes claquants, qui s’assombrissent, virent au grenat, puis à la violine. Sombre. Le vent du nord, qui s’était essoufflé avec légèreté toute la journée, tombe. C’est un moment de grâce. Le silence se fait. Et dans l’atmosphère ultra-stable, les étoiles s’allument. Différemment : ici nul scintillement. Elles brillent fixement.

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Guy en profite pour pré-collimater son flying dobson sur la grosse Jupiter, qui se traîne à l’Ouest. On jette un coup d’oeil : c’est beau, déjà. Malgré le manque de contraste, la grosse exhibe des couleurs pâles.
J’ai décidé de commencer aux jumelles, mais je serai bien vite déboussolé. Débordé. Car là-haut, tout s’allume. La nuit, la nuit est là. Et elle claque violemment sur la terre. J’essaye de trouver les premiers repères. On murmure dans la nuit. Il y a une révérence, une humilité, car la cathédrale est hors de proportions. Son volume est inhumain. Le mammifère sent confusément, face à ce colosse de vide et d’énergie mêlés, la vie petite, faible.

Mais les murmures reviennent, insistants : -“Attention à la fausse croix”, me dit-on d’un air entendu...“ Je prends un air de connivence, invisible dans le noir. -“Euh oui, oui bien sûr. La, euh, fausse croix”... -“Oui mais : méfie-toi de la Fausse Croix” ! La Fausse Croix, pense à la Fausse Croix. Je me pénètre de cette idée. Il faudra que je fasse, désormais, bien attention à la Fausse Croix. Oh oui ! On ne m’y prendra pas, à oublier la Fausse Croix, pendant le séjour ! Ca non.  Mais... Eh oh, où vais-je ? Dans quel état j’erre ? Est-ce une secte ?  Meuh non, me murmure-t-on avec indulgence : la fausse croix n’est qu’une constellation factice, un astérisme matérialisé par des étoiles des Voiles et de la Carène !
C’était évident, voyons. Je ne suis qu’un bleu austral. Et d’ailleurs, je trouve bien vite la Vraie croix. Celle du sud. Ah oui, plus petite que la fausse et stupide croix. Elle est accompagnée du sac à charbon. Le bien nommé semble irradier de matière noire. C’est une densité et une profondeur de noir... une qualité de noir. Voir ce noir se détacher sur le noir du ciel, c’est sentir une qualité de vide. Je touche le vide, me dis-je avec émotion.

Raymond est encore là, nous montons au C14. Il est massivement, puissamment ici et maintenant. Avec cet air trapu et nonchalant qu’arborent tous les Schmidt-Cassegrain. Sur son tube d’aluminium il pleut des étoiles. Le ciel de cristal goutte.
Nous pointons Rigil Kentaurus, basse sur l’horizon. Deux composantes apparaissent, parfaitement bien résolues. Leur éclat est d’or. Il est émouvant de contempler ce système, triple en fait, dont la troisième composante est l’étoile la plus proche. Le voisinage est beau, me dis-je. Il est en or vivant. J’y passe un moment.
Je reviens à la croix du sud, trouve la boîte à bijoux. Elle explose dans le Panoptic 41. Comme dans les récits de pirates, le coffret est rempli de gemmes. Leur eau est pure. Claire. Au centre brille un Rubis. Autour, des saphirs frais. Tous reposent sur un lit d’éclats de lumière blanche.
J’oriente le C14 à la main. Son système de pointage est aux fraises. Ou plutôt à l’Ouest, bien entendu. Mais une fois positionné, son suivi est sans faille. C’est une main de fer, j’y mets des gants de velours... Très vite nous devenons amis.
Je pointe dans la frénésie. Mais je reviendrai souvent, et longuement, sur tous les objets cités. Je commencerai en fait chaque nuit en reprenant d’abord les objets de la veille. Chaque début de nuit est un recomencement. A la longue, je commencerai à m’y retrouver... Mais alors il faudra repartir. C’est une autre histoire.
Pour le moment, donc, la frénésie. Je pointe M42, qui était renversant aux 15x70 le premier soir. La deuxième nuit, elle déborde du champ. Elle sort du Panoptic 41. Les ailes vertes se déploient très largement, tourmentées de volutes, enrichies de nodules. Le vert émeraude trouve du relief dans des enroulements de marron et, oui, de rouge très sombre. Le centre est saturé de bleu. Et son coeur, d’une eau très blanche.

A l’extérieur de l’observatoire, nous sommes sur une île entourée d’espace. Oui, cette colline entourée d'une vaste dépression : nous sommes sur le piton central d'un cratère, à la surface d'un astre dépourvu d'atmosphère. Les étoiles brillent d’un éclat fixe. La sphère des fixes, me dis-je.
Je rejoins un fauteuil en osier, qui me tend les bras. Nous devenons instantanément amis. Décidément, je ne trouve ici que d’excellentes fréquentations. Aux jumelles, j’entame l’exploration des riches amas stellaires qui se bousculent dans la voie lactée.
Amas ouverts, rivières de perles. J’égrène NGC 2516, dans la Carène. “The Diamond Cluster”, le bien nommé, montre une cinquantaine d’étoiles bleues et orangées, assez serrées. C’est un regroupement de gemmes colorées, qui reposent sur du velours noir.
NGC 2547, non loin dans les Voiles, est plus discret, plus lâche aussi. Moins clinquant, il s’offre après une contemplation plus longue. Il révèle alors le charme discret d’une trentaine d’étoiles dispersées, comme une poignée de poussières égarées.
Plus haut, NGC 2451, dans la Poupe, est une petite structure charmante. Quelques étoiles bleutées encadrent une compagne orangée. C’est discret et éloigné, on y entend chanter la nostalgie des lointains.
Tout à côté, NGC 2477 apparaît nettement plus dense et peuplé. J’ai du mal à en dénombrer les membres. C’est une communauté, une cité unie par la gravité.
Non loin, IC 2391, dans les Voiles, est un charmant village d’une vingtaine d’étoiles. Bien regroupées, elles sont d’aspect semblable, blanc-bleuté. Le charme d’une miniature.
Au fil des nuits, je reviendrai sur ces amas, cultures perlières dans la Voie lactée. Je reprendrai chacun des objets avec divers instruments. J’y retournerai également aux jumelles. Je referai chaque nuit le parcours de la veille, avant d’ajouter de nouveaux joyaux.

Dans la nuit, les murmures reprennent. Est-ce une prière ? Non, ce sont Guy et Estelle qui chuchotent aux étoiles. Xavier m’initie à la notion de cycle de sommeil. Des petits coups de fatigue ponctuent en effet la nuit. La fatigue du voyage s’ajoute au décalage horaire qui s’ajoute à un recalage sur un cycle non pas diurne, mais nocturne. Il faut trouver son rythme. De sommeil et d’éveil. Le principe m’apparaît simple : ne jamais interrompre un cycle de sommeil ; se contenter d’un cycle, par exemple, suffit à se reposer. Ah oui, il faut également déterminer la durée de son cycle personnel. Pour cela, attendre le prochain coup de barre. Mh, ce sera facile. D’ailleurs, le coup de barre arrive. Je me rends, à la frontale rouge, dans l’observatoire où m’attend un petit lit de fortune. Je m’y étends. Au plafond, des milliers d’étoiles. L’hôtel le plus étoilé au monde... La voie lactée enroule ses volutes dans une arche qui passe à mon zénith. C’est presque plus impressionnant allongé... Je me réveille une heure et demie plus tard. Ahhh cette fois ça y est, me dis-je, je le tiens enfin, mon fameux cycle de sommeil. Une heure trente, ni plus ni moins. Je croise Xavier et l’informe fièrement du score. - Hein ? Ah mais non, il faut résister au sommeil entre deux coups de pompe, me dit-il goguenard, et noter cette valeur-là ! Ré-si-ster ! ...Groumph, moui bon. Résister. C’est sûr, on doit pouvoir procéder comme ça aussi... Bon : ce sera pour la prochaine fois : au moins ai-je bien dormi !
Je reprends le C14 et retourne sur NGC 2516. Au Panoptic 41, c’est une explosion de couleurs, de lumières. Les teintes sont pures, franches. The Diamond Cluster tient à peine dans le champ ; mais non, il déborde. Il éclabousse de lumière les bords du champ. Les bleus frais et les oranges tièdes sont bien sûr évidents, éclatants. Leur juxtaposition donne du relief, restitue la troisième dimension. Entre les étoiles, le vide lui-même semble peuplé. J’y passe un long moment, avant de sombrer à nouveau.

En fin de nuit la chatte de l’Hacienda, Grisette, me raccompagne. Je la vois bondir de buisson en buisson, alors que je redescends la colline... Grisette, chat libre du désert...

Demain, avec Raymond, nous assemblerons le T406.

 


Episode III : Des ponts de matière noire.

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Puis nous assemblâmes le T406. C’était une belle journée d’été austral, forcément. Raymond me demanda si je pouvais l’aider. Je décidai de sauter la sieste. Tant pis pour mon cycle de sommeil. Sous l’éclatant soleil, nous nous rendîmes au sommet de la colline. Le léger vent du nord qui souffle ici toute la journée atténuait la sensation de chaleur. Ce même vent qui, le soir venu et peut-être à la faveur d’une inversion de température, a le bon goût de tomber d’un coup. Pour se ranimer à l’aube...
Mais pour l’heure nous sommes sous le soleil. Assemblons rapidement les différents éléments du gros Dobson. Reste le miroir. Dans l’abri-observatoire, nous ouvrons sa boîte. Une seconde boîte à bijou(x), me dis-je... Le voici, belle assiette de 406mm. Formidablement lisse. Nous le saisissons en évitant soigneusement de toucher sa surface. Pas simple, et l’animal pèse son poids en zérodur ou en pyrex, que sais-je. Nous sortons le Précieux à la lumière. Et je manque m’éborgner lorsqu’il accroche le soleil. Screugneugneu, me dis-je, deux pieds nickelés promenant un miroir dans un semi-désert des Andes en plein cagnard. Il faut le faire. Si ça se trouve, en l’orientant vers un cactus, on pourrait le griller...
Trêve de bêtises, nous le déposons vite au fond de son logement. Trop dangereux. Et envisageons maintenant de le fixer pour de bon. Mmmhh. Il y a une sangle. Elle doit faire le tour du miroir et le contraindre. Moui mais est-ce dans ce sens-ci, ou dans ce sens-là ? A moins que, comme ceci ? Ou encore, comme cela ? Voyons, nous sommes dans l’hémisphère sud. La sangle doit-elle être enroulée à l’envers ? Ah non, je retire ma question sous l’œil éberlué de Raymond.  N’empêche, que de questions existentielles. Il y a bien un piton, ici, et un autre là. Doublé d’un crochet qui... Posément, nous envisageons toutes les solutions. Procédons par élimination. Par déductions. Par inductions. Finalement, après avoir discuté, débattu, supputé et mûrement réfléchi puis écarté toutes les solutions, nous n’en retenons qu’une seule. La mauvaise. Car le soir venu, il s’avère que le miroir bouge au gré des mouvements du télescope. Ca c’est de l’optique active, me dis-je, hé hé.
...Il faudra retendre le tout, faute de mieux. Et surtout attendre : attendre l’arrivée de Xavier. Enfin il se hâte lentement, après sa sieste vespérale (il maîtrise son cycle de sommeil lui ; l’ai-je dit ?) et se penche sur nos soucis. Mh, il doit y avoir une erreur de montage. Est-ce possible ? Je me concentre sur la pointe de mes chaussures. Bon, on va tenter une collimation quand même. Oeilleton laser en place, oh mais il est complètement à l’ouest, attends, tourne les vis ici... et là... Non dans l’autre sens... Ah voilà. Nous visons, au hasard, le gros machin brillant qui se traîne à l’ouest. Je manque m’éborgner une deuxième fois, Jupiter claque ! Elle est trop brillante, ses teintes saumon trop douces. Je la trouve belle, mais sans gloire. Sur le ciel profond par contre, le gros donnera du bon. Certes, sur les bords du champ l’image restera moyennement définie, mais les deux-tiers sont parfaitement exploitables. Il faudra le recollimater régulièrement. Xavier s’y colle et recolle avec dextérité. Pour moi il est définitivement : “El Collimator”.

L’engin envoie de la lumière. Et de la belle lumière. Guy pointe des objets avec son 300, puis nous comparons avec le Gros. Ahh oui. Tel détail, deviné au 300, est maintenant évident au 406. Et nous discernons d’autres détails. Jeff pointe Eta Carina, avec un Ethos 13. L’hypergéante explosée montre clairement deux lobes. La nébuleuse de l’Homoncule. J’ai l’impression d’être positionné au-dessus, de trois quart : le lobe supérieur est gigantesque. L’explosion est hors de proportions, inhumaine. Le lobe inférieur, quoi que partiellement masqué, est évident. Il donne une profondeur, une perspective étonnante à l’ensemble. Ce double champignon, littéralement atomique, est hallucinant de relief.
Plus loin, la galaxie du Sculpteur exhibe un long fuseau ponctué d’un noyau brillant. Des zones sombres permettent de deviner une amorce d’enroulement, au bout d’un bras. La galaxie de la Dorade, par contre, ne laisse aucun doute sur sa nature spirale : vue du dessus, une double hélice apparaît facilement au 406. C’est une fleur antique, enroulée sur elle-même.
La galaxie du Sombrero est une bande sombre, épaisse, ponctuée d’étincelles. Elle irradie une qualité de noir particulier, que j’assimile, mais oui, à de la matière noire. C’est un bouillonnement de matière et d’énergie sombres.
Les pointages s’enchaînent et je comprends l’essence du Dobson : il faut l’étreindre. Le prendre, pour le déplacer. Il y a une dimension charnelle, c’est un corps à corps. Une danse.
Le pas suivant est plus mesuré, c’est un entrechat : M1 dévoile sans ambiguïté sa structure. De longs filaments s’étendent de part et d’autre, irréguliers, comme parcourus de frissons.
La galaxie des Antennes, pas de deux, est un papillon. Ses antennes justement forment deux arcs, de part et d’autre. En son centre, un cœur. C’est un cœur épinglé sur du velours noir.

Je quitte un temps la danse, le 406, pour revenir au C14. Saturne est déjà haute dans le ciel, j’aimerais y voir la fameuse tempête. Je crois la discerner vers 2H du matin. Varie les oculaires : Naglers 16, 13, 7, 5... C’est au 13mm qu’elle m’apparaît le mieux, très fine, découpée au rasoir. Sur l’un des hémisphères une large déchirure. Je hèle les autres, doucement d’abord. Puis plus fort. Nom d’une pipe, je suis dans la banlieue terrestre moi, et j’observe une géante gazeuse en rotation rapide. Je n’ai pas des heures devant moi, la planète aura tourné, et la tempête avec elle... Je veux être certain que je ne suis pas victime d’auto-suggestion, tel un Schiaparelli austral. Mais tous, les uns après les autres, observons la déchirure. Ce doit être une tempête shakespearienne ! Elle balafre tout un hémisphère. Quels navires se fracassent sur ses vents hypersoniques ? Sa couleur est équivoque. C’est un blanc, oui. Mais un blanc très légèrement nuancé de bleu. Estelle trouvera la teinte, le mot juste : c’est un blanc glacier.
Puis je pointe Oméga du Centaure. Il occupe les deux-tiers du Panoptic 41, et emplit le Nagler 16. Il est bien sûr complètement résolu : c’est un bouillonnement d’étoiles. Une flambée de soleils. Par un effet optique, l’oeil le fait s’animer, bouillonner. C’est une seule matière, une matière d’étoiles vivante. Nous le contemplons un moment. Evoquons Nightfall, le roman de Asimov et Silverberg. L’action y est située dans un amas globulaire.
Guy me demande de pointer doucement vers le nord. A environ 1°, je trouve NGC 5128, ou Centaurus A. La galaxie à émission se détache remarquablement bien sur le fond de ciel. Je vois parfaitement les deux lobes, reliés par un pont, un pont de matière noire. Je suis toujours surpris par cette qualité de noir. Sur le fond parfaitement noir du ciel, ici, il devrait disparaître, se diluer... Mais non, il irradie. On y voit la matière. Mais noire. Etrange sensation.

Dehors, sur la colline, la nuit est très avancée. Des renards se répondent dans la vallée. Grisette, chat du lieu, apparaît et se déchaîne : elle veut à tout prix entrer dans la base du 406, se lover sur le miroir. Pour mieux se rendormir. A moins qu’elle souhaite que nous n’ayons d’yeux que pour elle. En réponse nous la chassons, épouvantés à la perspective des dégâts ainsi occasionnés au Précieux !
Quelques Centaurides rayent le ciel. J’entends Xavier s’exclamer : “Oah !” et me retourne juste à temps pour voir une belle flamme s’éteindre, suivie d’une traînée persistante, large et bleutée... Elle s’effiloche en zigzags. Il pleut des météores danseurs, me dis-je.

Je reprends mes 15x70 et observe NGC 3532. Poudroiement d’étoiles dans la Carène. Feu d’artifice austral que cet amas ouvert. Flamboiements bleu et jaune. L’ensemble brille d’un éclat fixe, surnaturel. Il est bien délimité et repose sur le fond parfaitement noir du ciel, avec une étrange sensation de profondeur. C’est hypnotique. Pris entre la veille et le sommeil, je suis aspiré dans un état hypnagogique. Je tombe la tête en haut.
Sortant du vertige, j’aborde IC 2602. Les Pléïades du Sud. Je les trouve moins peuplées et plus clinquantes. Mais c’est un joyau. Une quinzaine d’étoiles bleues s’affirment puissamment dans le champ. Paradoxalement, ce côté plus claquant me repose les yeux. J’avais failli tomber dans NGC 3532...
Régulièrement, des traits de diamants : les satellites rayent la voûte de verre noir. J’en vois de temps à autre passer dans le champ des jumelles.
Un matin nous observons le lever d’une conjonction Lune - Vénus. Avec l’aube naissante, le vent du nord a repris. Il fait froid. Le vent siffle sur les contreforts des Andes. Intense sensation d’être là, ici et maintenant. Vivant.
De la montagne surgit une lumière. “La Lune”, m’écriais-je ! Je pensais à une corne lunaire enfantée par la crête bleuie. Mais c’est Vénus qui apparaît la première. Perdu sur la colline, le vent aux oreilles, dans une lumière de début des mondes, la sensation de liberté est intense. L’air est vif. Ici le ciel est puissant.

 

 

Episode IV : l’Oeil du cyclope - Envol.

Episode précédent : “Des ponts de matière noire” http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/001715.html



Puis il y eut la visite au Cyclope. Le cyclope vivait en haut d’une montagne. Cette montagne s’appelait Cerro Pachon.
Il y eut un matin. Un tout petit matin, après une nuit d’observation et deux heures de sommeil sans rêve. Bien que visible depuis une des collines de l’Hacienda des Etoiles, le Gemini Sud ne s’approche qu’avec prévenance. C’est que le Géant a des pudeurs de diva. Il vit sur un autre massif ; il faut changer de vallée, reprendre les routes, sentiers et autres pistes vertigineuses. Et puis n’y vient pas qui veut, tout bonnement : l’observatoire n’est pas ouvert au public. C’est uniquement grâce aux contacts privilégiés de Raymond, notre hôte, qu’une visite exceptionnelle a pu être arrangée.
Nous partons à l’aube. La piste en 4x4, le petit pont de bois qui ne tient plus guère, une bonne heure et demie jusqu’au premier village, El Romeral. Changement de véhicule, puis direction Ovalle où nous attendent nos laissez-passer pour le cerbère du Cyclope. Où devraient nous attendre nos laissez-passer car voilà, ils sont en possession du frère d’un cousin qui connaît le gars qui... bref, une histoire chilienne. Nous attendons, tournons, finissons par trouver le frère, enfin le cousin, le gars quoi. Sympa. Mais nous sommes en retard, et l’horaire d’arrivée au poste de contrôle du géant est impératif. Il faut être à l’heure, sinon la diva se refusera.
 

Mais Raymond sait rouler vite et bien. Nous fonçons à tombeau ouvert sur la panaméricaine. Ici point de radars. Le décor est une frise de vallées, montagnes, lacs de retenue vert émeraude, qui défile en accéléré. J’ai encore, moi, l’esprit plein des étoiles de la veille, enfin de tout à l’heure :
NGC 1566, une miniature vue du dessus, ses bras spiraux délicats ciselés dans le 406. NGC 1549 et 1553, en interaction dans la Dorade. Petites galaxies lenticulaires. Superbes, comme figées dans l’éternité. NGC 1715, j’ai noté : “nébuleuses semblent groupées”. C’était bien petit, en tout cas. Mais les images sont tellement pures, et d’une stabilité quasi-spatiale. Images surréelles.
Pour l’heure les contreforts des Andes défilent accélérés, comme victimes d’une déformation de l’espace. Des sons me parviennent, c’est une voix, celle de Raymond : “j’espère qu’on y arrivera”. Il appuie encore sur la touche avance rapide, l’accélération s’accélère. La voix elle-même se déforme : “j’espèèèère qu’on yyy arriveraaaaa”. Images, sons distendus... L’image tressaute plus vite, fragments de piste dans la poussière du matin. J’ai peu dormi, c’est hypnotique...
Je me souviens de NGC 3132, nébuleuse planétaire dans les Voiles. La naine blanche qui est au centre semble clignoter au Nagler 13. Au 7 également. Et je dois dire qu’au 5, elle clignote encore. J’avais dû aller dénicher un 3,5 quelque part au fond d’une boîte pour qu’enfin elle me fixe, mais pâle ; de pudeur sans doute.
Enfin nous y sommes. Le poste de contrôle au bas du Cerro Pachon. Nous voici presque à l’heure, au rendez-vous, au lieu dit, après 4h de route l’esprit ailleurs. Vérification des laissez-passer et des passeports. Début de l’ascension. Le ciel est d’un bleu coronal. Il est comme cela 350 jours par an. Et 351 nuits, sûrement...
Il faut encore près d’une heure, mais la piste est roulante. Poussiéreuse mais roulante. Nous devons soulever une queue de poussière de 100m de long... Notre mini van est une comète, me dis-je. Si les gars du sommet ne nous voient pas arriver... Difficile de monter incognito, en tout cas.
 

Enfin voici le géant, le cyclope, la diva, que sais-je, les mots manquent. L’oeil de 8m est abrité par une gigantesque coupole, évidemment, d’un blanc pur aux reflets métalliques sous-le-soleil-coronal-dans-le-ciel-bleu-profond.
Les Andes, tout autour, s’étendent en majesté. En face, presque à portée de main, le Cerro Tololo et ses autres coupoles. Mais la puissance des Andes domine tout. Il y a la splendeur et la force, quelque chose d’inexorable et de massif. Quelques neiges éternelles éclaboussent le fond de l’horizon. Nous sommes à 2722m. L’air est clair, comme du cristal.
Nous frappons à la porte du Gemini Sud. En visite, presque en voisins. C’est tout simple, il suffit de sonner : dring. Je sens venir un rire nerveux, c’est l’émotion, trop d’émotions, trop vite... Mais Miguel nous ouvre avec chaleur. C’est lui, le “communication officer”, qui habituellement reçoit plutôt la presse scientifique. Aujourd’hui eh bien... c’est nous. Le privilège est grand. Merci, Raymond.
Les bureaux, sans être vastes, sont spacieux. Nous sommes reçus dans une pièce aux tables chargées de fruits. Si, si.
Au mur une double horloge, qui affiche l’heure de Hilo (Hawaï) en plus de l’heure locale (La Serena, Chili). C’est que les Gemini sont jumeaux, comme leur nom l’indique. Un pour chaque hémisphère. Deux yeux identiques, écartés à l’échelle de la planète.
Nous passons rapidement les bureaux, puis abordons les installations techniques. Ici, la cuve de réaluminure du miroir primaire. Plus de 8m de diamètre, tout de même. Etrange OVNI. Là, les pompes à vide... Et enfin la coupole. Ici ce sont les dimensions qui frappent. Le cimier culmine bien haut, forcément. Et nous passons sous le géant sans presque nous en apercevoir : des boîtes de la taille de cabines téléphoniques sont accrochées à sa base. Elles contiennent les instruments, caméras ccd et autres expériences. C’est en contournant la base qu’on aperçoit le cyclope : immense, sa structure ouverte escalade le ciel. On aperçoit facilement le miroir secondaire de 1m de diamètre, tout là haut. Privilège rare, nous pouvons accéder au miroir primaire. J’apprends au passage que ce 8,1m est surnommé “Jolly Jumper”. “Lucky Luke” est l’oeil du Gemini nord.
Miguel commande l’ouverture du rideau de protection et la surface du miroir, sa “peau”, apparaît. Défense de toucher, bien entendu. Nous nous penchons à tour de rôle et quand arrive mon tour je prends bien soin d’arrimer tout ce qui pourrait tomber : je ne veux pas être celui-qui-a-éborgné-le-cyclope d’un coup de lunettes de soleil, qui sentent la crème solaire, en plus. Le miroir, forcément énorme, paraît légèrement... poussiéreux. Effet optique, nous assure-t-on. L’ensemble dégage une impression de puissance assoupie. Ca c’est un dobson me dis-je, bien qu’il s’agisse plutôt d’un Cassegrain et non d’un Newton.
Quelle serait la vision de cet amas ouvert dans le Grand Chien, que me montrait Xavier cette nuit encore, à l’hypothétique oculaire de ce monstre ? Comment y apparaîtrait le rémanent de supernova, dans les Voiles, sur lequel je m’extasiais grâce à Guy il y a seulement quelques heures ? La Blue snowball, cet oeil vert solitaire, qui me fixait pour l’éternité, en serait-elle magnifiée ? Et que penser de NGC 3324, la nébuleuse Gabriela Mistral ? La poétesse chilienne, née précisément ici, dans cette région de la vallée de l’Elqui, révélait hier son profil aquilin dans le flying dobson de Guy, avec un filtre à bande étroite. Serait-elle flattée par l’oeil du cyclope ?
Mais il semble que la question ne soit pas pertinente. L’oeil humain ne saurait collecter le faisceau optique... Seules les CCD et autres robots ont ce privilège. Images perdues dans leurs rêves de machines...
Non loin, un boîtier de raccords électriques et une inscription : “No desconectar cables sin avisar” : ne pas débrancher les fils sans prévenir. Pas idiot, pour un télescope de 90 millions de dollars...
Dans les couloirs des affichettes : “be sure, not sorry”. “Soyez certains (sous-entendu : de ce que vous faites), pas désolés”. On les comprend.
 

La visite se conclut à l’extérieur. Un grand soleil écrase les Andes. Salutations, remerciements et adieux...
Le retour se fait suivant les mêmes modalités : en avance rapide. Encore 4 bonnes heures de route. Au total, plus de 8h pour descendre de nos collines, changer de vallée, gravir une montagne, saluer le cyclope et en revenir. Une journée privilégiée. Avant d’aborder une nouvelle nuit d’exception.
Car faut-il le répéter ? Ici le ciel est inéluctable, inexorable. Irrévocablement présent. Massif. On y brasse des flambées de soleils. Des soleils exotiques. Des étoiles anciennes... Les planètes sont d’or, d’argent pur. De temps à autre, une aiguille de lumière raye la nuit d’un trait de diamant.
Guy danse avec son Dobson, Xavier croque le ciel. Tout est bien.
A la fin du séjour, je commence à trouver des chemins. J’ai ouvert quelques sentiers dans le fourmillement d’astres antiques. Mais je dois repartir de l’autre côté du ciel, au pays de peu d’étoiles.
Que reste-t-il du Puma des Andes, alias Raymond le coquin, venu juste avant l’aube poser silencieusement la main sur l’épaule de Xavier ? Son cri  de terreur doit encore résonner au fond des vallées...
Où est Grisette, qui me raccompagnait à l’aube en bondissant de buisson en buisson dans la colline ?
Baladin course-t-il toujours les chèvres égarées ? Est-ce que l’âne Nanou braie encore aux étoiles ?
Que reste-t-il de mon rêve, enfin ?
Je fais le voeu de revenir. Oui je reviendrai jouer à la marelle dans les constellations, avec le chat, le chien et l’âne du désert...
Merci à Guy et Xavier de m’avoir fait découvrir le lieu de Paix.
Merci à Nadine et Raymond, propriétaires de l’Hacienda, pour leur accueil, leur disponibilité constante et leur gentillesse. Sans oublier les bons petits plats. Ni le vin Chilien. Ni, bien sûr, au grand jamais, le Pisco du soir.
Merci de m’avoir lu.

Séjour du 26 janvier au 11 février 2011. Chili, Hacienda des Etoiles. 30° 32' 02 S, 70° 47' 47 O.

Pierre.

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