Récit : Chili 2013

[CROA] Reflets du ciel austral - Episode I : cristal silencieux

 

Récit d’un voyage astronomique au Chili, du 3 au 19 avril 2013

Il y avait eu ce premier voyage en 2011(1). Les premiers émois. Puis l’émerveillement. L’été austral, flamboyant et fort, presque violent. Enfin le voeu de revenir, d’approfondir, pour confirmer les chemins et sentiers, là-haut. Retrouver des émotions enfuies, noyées dans la grisaille éternelle et les dômes oranges quasi radioactifs.
J’ai répondu à l’appel du lointain. Il était là, ou plutôt là-bas, le lointain. J’aime cette sensation d’être suspendu à son appel nostalgique. Nostalgia, ou “mal du retour”, maladie de l’âme...
L’air de cristal dont on fait les étoiles me manquait. La poussière des Andes m’appelait. Et puis j’avais soif, de Pisco et de Carmener. Dans le fond, c’est une histoire simple.

Il y eut les retrouvailles à Roissy avec Xavier, qui arborait déjà une veste d’alpiniste tout juste acquise. Allions-nous affronter les plus hautes cimes des Andes ? Irions-nous tutoyer les condors qu’on voit là-bas s’ébattre librement en altitude ? S’agirait-il d’aller visiter le site du futur E-ELT, là-haut dans l’Atacama ? Enfin l’antivol, dont la veste était encore munie, allait-il se déclencher aux contrôles de sécurité répétitifs ?
D’emblée les premiers points semblaient réglés : non, nous n’irions pas réveiller les dieux qui sommeillent dans les volcans andins mais simplement affronter les rigueurs nocturnes de l’automne austral. A 1500m, au milieu de la nuit, quand le Sagittaire entame vaillamment l’ascension du zénith, l’astronome amateur, lui, grelotte et résiste à l’impérieuse nécessité du sommeil... mais j’anticipe. Quant à la dernière question, elle restait en suspens.

Je fis connaissance de Jean-Luc, dont j’apprendrai la redoutable efficacité dans le maniement des cartes. Pour l’heure, il tentait plutôt de résoudre d’interminables casse-têtes ferroviaires, pour ne pas dire de trains qui se croisent, entre Bordeaux et Roissy. Le retour s’annonçait un brin longuet, pour ne pas détonner avec l’aller qui, en ce qui me concerne et depuis Strasbourg, flirte avec les 35 heures. Non pas par semaine, mais sur 2 jours. Le truc se mérite.

Je fis connaissance de Jean-Christophe, enthousiaste et presque infatigable observateur. Presque, car n’appréciant guère les pointages en-dessous de 10° (pas de conclusion hâtive). Lui-aussi tentait de résoudre un casse-tête, celui d’un Dobson de voyage. Il était mortifié à l’idée de se résoudre à voyager finalement léger. Le dit futur Dobson était ou trop gros, ou trop lourd, ou les deux. Enfin, quelque chose de rédhibitoire. Un coup à se retrouver à voyager les mains dans les poches.

Quant à moi, je voyageais léger et les mains dans les poches. Deux Naglers, une paire de 15x70, un trépied et un appareil photo... Le coup des semelles de vent, quoi.

Et le vent fut trouvé. Celui de la longue, très longue descente vers le grand Sud-Ouest. Là-bas au bord du monde. Brel avait oublié ceux qui sont en l’air, en plus de ceux qui sont en mer.
L’avion n’étant pas complet, nous avons pu nous replacer à notre guise dans cette boîte de Schrödinger volante. Je me suis ainsi retrouvé seul locataire d’une rangée de 3 sièges. Sur laquelle j’ai pu m’allonger, l’équipage, sympathique et tolérant, ayant décidé de fermer les yeux (ainsi que la majorité des passagers). J’étais seulement bercé par quelques turbulences inévitables et les chuchotements de Jean-Christophe, qui murmuraient une histoire faite de contre-plaqué toujours trop lourd et de cotes toujours trop grandes... C’est avec un plaisir teinté de compassion sincère que j’écoutais sa mélopée.
En ce qui me concerne, je crois que j’ai raconté n’importe quoi : j’étais déjà dans le coma du voyage. Cet état où tout devient relatif, quand on ne sait plus ni très bien qui, ni très bien quoi, ni pourquoi on erre entre ciel et terre.

Ah retrouver l’aéroport de Santiago, ses douaniers qui n’aiment pas les grains, graines, et autres barres énergétiques aux fruits, il faut le savoir. D’autres en ont fait les frais, pas nous, pas même Xavier qui aura pour une fois échappé au grand déballage de son Strock 250. Car oui, son Dobson à lui sait voler. Il est familier des cieux du grand Sud et tentera patiemment de me donner à voir quelques indiscernables nébuleuses obscures sur fond de velours noir, dont les trois derniers photons échappés peineront à exciter ma rétine (mais pas ma curiosité, intacte), je l’avoue. Mais j’anticipe. Quant à la veste dont le nom évoque les cimes du nord, elle n’aura pas plus fait tintinnabuler les portillons nordistes que sudistes.

Pour l’heure, retrouver la chaude ambiance Sud-Américaine. Reprendre l’autocar plein nord, mais oui, direction les 30° de latitude sud de la Canelilla, l’Hacienda des étoiles. Six heures de route mais c’est un beau pays pelé et désertique à souhait, comme il se doit. On y élève des cactus, du Pisco, des arras, quelques condors. Et des flambées de soleils exotiques.

Mais d’abord nous retrouvons Raymond, le propriétaire des lieux, venu nous chercher au terminal routier pour encore 3 heures de route. Puis de piste. Ah la piste qui mène à l’Hacienda. Et son petit pont de bois qui ne tient plus guère. J’accuse un peu de fatigue, je suis parti depuis plus de 30 heures, mon estomac se noue sur la piste, qui s’étend, se détend, fait des noeuds et des cahots, revient, s’étire dans quelque chose qui trouve des prolongements dans les limbes, dans les songes, au-delà, bien au-delà de la fatigue.
Puis l’arrivée, l’accueil chaleureux de Nadine venue au devant de nous sur la piste, avec le chien Balladin en escorte. Ce sympathique Bouvier des Flandres, quoi que loin de ses bases, s’épanouit dans les siestes au soleil et la course aux chèvres, deux activités dans lesquelles il excelle.
Il est encore trop tôt pour la chatte Grisette, qui doit rêver qu’elle effraye le renard, une nuit de pleine lune.

Mais la nuit sans Lune est là. En avance sur mes souvenirs : c’est que nous sommes en automne. La dernière fois, c’était l’été.

Alpha et Beta du Centaure s’allument. Ce sont des flambeaux nets et qui ne scintillent pas. Je retrouve le dessin presque familier des constellations les plus évidentes, la Croix du Sud bien sûr, et j’évite le piège désormais benêt de la fausse croix, à l’intersection des Voiles et de la Carène. Canopus est un phare qui irradie puissamment.
Mais tout est déjà haut dans le ciel, la fois dernière il fallait attendre, je me laisse surprendre par la saison ! A l’ouest, Orion se couche à l’horizontale tandis qu’à l’est le Scorpion se lève, faisant ainsi mentir la mythologie. Le ciel n’est plus sombre, il est de matière noire, de cette qualité de noir connue uniquement des lieux oubliés. C’est un noir d’encre sans diffusion, où les étoiles levantes apparaissent nettes au ras de l’horizon.
Sous le poudroiement de cristal silencieux, je m’agenouille mentalement. Les nuages de Magellan sont de retour aussi, ou plutôt c’est moi qui suis de retour sous ces univers-îles cotonneux accrochés au rebord de la Voie lactée. Les yeux brillants de la tarentule me fixent à nouveau, c’est un regard inquisiteur, qui semble dire : qu’as-tu fait de tes nuits depuis la fois dernière ? Faiblement j’avoue que j’ai dormi. Invoque les nuages du nord et le dôme orange, cette cité de Diaspar(2) dont on ne sort plus une fois rentré. Mais en vain. La tarentule fixe Caïn et je suis dans mes petits souliers.
Plus bas, le Petit nuage vient à ma rescousse. Il chante l’histoire d’une petite galaxie errante. 47 Toucan est un puits de lumière moussu dont les étoiles de périphérie, bien perçues aux 15x70, éclaboussent les bords de bulles fraîches et claires.
A l’est, Omega du Centaure est bien plus joufflu. Il étale sans complexes ses quelques millions d’étoiles. A l’oeil nu il pourrait être confondu avec une grosse étoile diffuse, cette dernière caractéristique trahissant sa véritable nature de monstre globulaire.
Oh reprendre contact avec ce ciel sauvage qui danse une ronde éclatante autour du pôle Sud. Le navire Argo plongera lentement dans le sud-ouest, la Poupe la première, tandis que Voiles et Carène étincellent avant de s’enfoncer à leur tour dans la montagne.
Le Scorpion trônera finalement au zénith, sa fausse comète accrochée comme un lustre de cristal au sommet du ciel.
Tout ceci viendra plus tard. Pour l’heure l’extrême fatigue me prend, j’ai vaincu les différentes phases hypnotiques du voyage, résisté aux assauts répétés des comas, dormi les yeux ouverts, reculé à nouveau des frontières intérieures. Sensation d’avoir brûlé ma chandelle par les deux bouts, mais d’être en vie.



(1) http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/001657.html
(2) “La cité et les astres”, Arthur C. Clarke


 
serge vieillard
Membre
Elancourt (78) france
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Yo !
voici un récit qui parle, et qui parle fort !
et qui inspire bien, car pour le club Magnitude 78, le départ est pour dans 12 jours..... Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhh !!!!!!!!!!
Cela étant, considére le CTP bien fin pour des instruments fait pour ces aventures: elles sont uniques, eux seuls les permettent.

Alain MOREAU
Membre
LYON
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Magnifique récit, très puissamment évocateur...
On attend la suite avec impatience !
(et merci de ce partage )
 
jcj13
Nouveau membre
Sannois 95110
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Vesper,
magnifique commentaire et ta démesure traduit bien le choc devant ces cieux chiliens nocturnes.
continues
jcj13
 
 
XavierD
Membre
Levallois-Perret - France
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Merci pour ce magnifique CROA rempli de poésie et teinté de philosophie.
La suite..... avec impatience.

Xavier
 
Gordon
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Paris
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Ah, bien ! Des nouvelles de l'Austral, et de l'Hacienda perdue quelque part au versant des Andes...
Je m'en vais lire ça, cool, depuis le Ponant (nuageux) de France, en bout de terre (Penn ar Bed).
 
 
JoelP
Membre
Alpes du Sud
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Salut Pierre (et merci de ton message annonciateur!)

Belle entrée en matière, toujours la même maitrise des mots pour décrire les impressions, raconter les anecdotes, la marque d'un grand CROA! Je vais me jeter sur la suite
 
penn kalet
Membre
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Bonjour Pierre ,

Un magnifique récit, comme un conte fantastique ... on vit avec toi la découverte du merveilleux ciel chilien, des ses étoiles étincelantes et de ses objets précieux.

    quote:Pour ce qui est des instruments, j'ai désormais pris le parti d'acheter du ciel plutôt que du matériel.


Un achat raisonné : le matériel encombre, devient obsolète, s'abime alors que les souvenirs enrichissent et construisent l'esprit, ouvrent vers d'autres horizons.

    quote:Le Scorpion trônera finalement au zénith, sa fausse comète accrochée comme un lustre de cristal au sommet du ciel.


C'est beau ...
 

 

[CROA] Reflets du ciel austral - Episode II : Ponts de lumière sur des gouffres obscurs
(épisode précédent : http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/002098.html )


Il y a la montée vespérale vers la colline. Cette montée aux étoiles a beau être symbolique, la grimpette n’en est pas moins raide, surtout, il faut le dire, après un bon dîner. Moi, j’ai mes chaussures de randonneur vosgien. Elles s’acclimatent assez bien aux contreforts des Andes.

La nuit est établie, chacun marche à son rythme et dans son souffle, à la lueur des lampes rouges. Le sentier est désormais balisé de cailloux blancs. Bonne idée, surtout pour le retour. Combien de fois me suis-je retrouvé, dans le sens de la descente, vaguement perdu quelque part à l’écart du chemin, seul avec la chatte Grisette qui m’accompagnait en bondissant de buisson en buisson sous une voie lactée finissante... Mais c’est une histoire d’une autre année, d’un autre voyage. Pour l’heure, la montée. Après un de ces repas plantureux préparé par Nadine, et le pisco du soir, espoir, lui-même suivi d’un petit Carmener qui... Ah les retrouvailles avec les distillats locaux ! Puis sortir de table, se préparer à l’ascension, s’équiper pour la nuit. Les vestes chaudes sont requises, ainsi qu’écharpes et bonnets. Tout à l’heure, au milieu de la nuit, il ne fera plus frais, comme en été, mais froid.
Pour le moment, gravir la colline. Il y a quelque chose du pèlerinage. C’est un rituel. Les pénitents montent comme des chenilles processionnaires. Xavier, qui n’a rien bu par crainte de gâter son aptitude aux basses lumières, aura la chance de ne pas connaître tant de difficultés... Il arrivera d’ailleurs un peu plus tard, frais et dispos tel le gars qui maîtrise ses cycles de sommeil.
Oui donc, monter au théâtre des contemplations. Les lampes, en réalité, ne sont plus utiles une fois le chemin connu. On gravit à la lueur d’une flambée stellaire qui nous restitue, mais oui, une ombre dans cette nuit d’encre. L’ombre de milliards de soleils.
Arrivé au sommet je retrouve l’observatoire à toit roulant, qui abrite un C14, une Gemini 41, un lit. Ce n’est pas l’accessoire d’astronomie le moins utile.
A l’extérieur sont disposés les Dobson de 300 et 400mm. Et dire que nous avions transbahuté ce dernier depuis la France, la dernière fois. Enfin, il faut avouer que l’avion avait fait le gros du boulot. Mais tout de même, avec Raymond j’avais réassemblé la bête. En plein cagnard, avec péripéties, soleil sur le miroir et pan, tiens-prends-ça, un reflet dans l’oeil. On aurait pu griller des cactus à 1 kilomètre, avec ce tube. Fin bref, un moment épique (1).
Mais il est là dans la nuit australe et attend d’être pris dans nos bras, pour le guider. Jean-Christophe et Jean-Luc y parviendront avec une efficacité redoutable.
Un peu plus loin, un petit C8 complète le parc. Mais chacun est libre d’apporter son instrument, d’ailleurs voici Xavier avec son flying Strock en villégiature australe. 250mm de légèreté. Une plume qu’il dépose au sol, à son endroit fétiche, tous horizons bien dégagés. L’oeil frais et l’air décontracté du gars qui a dormi, lui, d’une sieste post-digestive, il se met aussitôt à dessiner. Bientôt on entend plus que le crayon qui frotte sur le bloc à dessin...

Comme par le passé je me fais l’effet d’être sur le piton central d’un cratère, hors de toute atmosphère. Une voie lactée insensée se déploie d’un horizon à l’autre. C’est un poudroiement stellaire qui ne scintille pas, tourmenté de nébuleuses obscures qui s’enroulent en volutes. Ces tresses sombres restituent la sensation de profondeur, de volume. L’effet est saisissant. C’est une cathédrale, un ciel à la Dali, hors de toutes proportions humaines. Ce n’est pas un environnement conçu pour l’homme, on le sent, on le ressent par toutes ses cellules. Il faut, quelque part, réabsorber le choc visuel. Et tenter de retrouver des chemins.

Jean-Luc et Jean-Christophe collimatent le 406. Ils cherchent la collimation, la trouvent puis la perdent et ainsi de suite, dans un ballet frénétique qui passe du miroir primaire au secondaire puis à l’oculaire, et-on-recommence. Ca, c’est de l’optique active !
Ils feront finalement appel à Xavier, qui parvient à accorder le bigniou avec maestria et son collimateur laser. Lors du précédent séjour, déjà, il y avait gagné un surnom : El Collimator.

Je retrouve le C14. Sur la passerelle, ou devrais-je dire plutôt le pont, je me prends un instant pour le capitaine, oh certes non pas d’un navire, mais d’un frêle esquif. Comment vais-je affronter cette marée stellaire avec ma coquille de noix ? Il y a un moment de panique, des doutes, de l’incertitude. Du suspense, même.
Pour reprendre contact, je reviens en touriste sur des sentiers certes battus, mais éblouissants. Vite, j’attrape à l’Ouest M42 avant qu’elle ne se couche. Orion est à l’horizontale, en passe d’être englouti par la montagne, alors que le Scorpion, à l’est, est déjà levé. Les grecs ne pouvaient pas savoir, en écrivant une mythologie sous des latitudes boréales...
Or donc M42 étale au Panoptic 41 de larges extensions qui débordent du champ. Au centre, dans le Trapèze, je discerne de petites rouges : d’abord une, deux, puis six au total. Le pourtour du Trapèze est incandescent, et cette incandescence elle-même est entourée de draperies luminescentes. Ce sont de très grandes ailes colorées de blanc et de vert. Et tout aux extrémités, mais oui, je distingue des teintes saumonées. Presque rouge brique. Je reviendrai chaque début de soirée sur M42. A quoi bon, me dira-t-on, pointer des objets boréaux lorsque on est sous le ciel austral ? La réponse est à l’oculaire : ce n’est plus le même objet. Ou plutôt, c’est l’objet en majesté, en puissance, en splendeur. Oui j’y reviendrai souvent et je hélerai les autres, du haut du pont. Xavier me confiera que c’est la première fois qu’il distingue du rouge dans les extensions. M42 est décidément, sinon la plus belle, tout du moins la plus claquante des nébuleuses des deux hémisphères.

Je file ensuite vers la Tarentule. Perchée sur le rebord du Grand Nuage de Magellan, elle me fixe avec de petits yeux brillants. Elle est certes moins flamboyante que M42, mais elle est plus fine. Je détaille à nouveau avec plaisir ses filaments. Elle est tourmentée en complexité, filandreuse. Elle luit d’un vert empoisonné. Bien que tenant intégralement dans le champ du Panoptic 41, elle est impressionnante. Par son éclat, certes, mais surtout pas sa finesse, l’intrication de ses filaments verts qu’on dirait tissés, mais oui, dans une toile venimeuse.
L’optique du C14 est supérieure, elle délivre des images “au rasoir”. Coup de chance dans le lot d’une production industrielle ? Je ne sais. Peut-être. Mais tous mes comparses y défileront à de nombreuses reprises, au fil des nuits, pour détailler ses images découpées au cutter, y compris d’objets beaucoup plus exotiques et plus discrets, et en conviendront.

Bien décidé à poursuivre cette reprise de contact par les sentiers battus, je pointe la boîte à bijoux. C’est un coffret rempli de gemmes à l’eau claire. Autour d’un rubis brillent des saphirs frais. L’ensemble repose sur un lit d’éclaboussures de lumière froide et vivifiante.

Le système de pointage, lui, est aux fraises mais qu’à cela ne tienne : je dirige ma monture à la main. A l’ancienne et, surtout, à l’instinct. Enfin au pif, quoi, pour parler clair. Le C14, que j’appellerai désormais poétiquement “le gros” par commodité de langage, ne rechigne pas : il est bien équilibré. Mais son champ réduit ne me facilite pas la tâche, même et bien sûr avec l’oculaire de plus longue focale à ma disposition. Je me frotte à ses axes, mais ce n’est pas une lutte, c’est une danse qui n’est pas sans rappeler le Ju-Jutsu, mais une danse autour de 2 axes. J’utilise son inertie, je la détourne, l’oriente vers mes cibles.

Le gros, vaincu, obéit et m’offre la nième mais splendissime vision de Oméga du Centaure. Le monstre globuleux étale une pâte stellaire qui emplit presque le champ. La tonalité générale est chaude, c’est un miel d’étoiles que l’oeil voit presque s’animer à force de le contempler, par un effet d’illusion d’optique ou de contraction des muscles oculaires bien plus certainement. Cet étalement de soleils sur une si grande surface est impressionnante. On pourrait palper, ou lécher ce miel stellaire. J’avais lu quelque part que sa nature d’amas globulaire pouvait être remise en cause, qu’il pourrait s’agir d’une galaxie naine. Je n’en serai qu’à moitié étonné, l’oeil rivé à une pâte dont j’ai cependant l’impression de pouvoir résoudre les grains un à un.
A environ un demi-degré à l’Est je retrouve Centaurus A. La petite galaxie à émission exhibe facilement sa large bande centrale noire. Par effet de contraste avec les deux hémisphères brillants, le noir semble rayonner d’une densité de noir différente que le fond de velours du ciel. Comme une qualité de noir plus noire encore. Quelque chose comme du noir rayonnant.

Il y a au cours de la nuit des rituels. Et notamment vers 1H du matin, quand la fatigue se fait plus pressante. Heureusement nous sommes pourvus en sandwichs, et Raymond lui-même débarque au milieu d’une de ces premières nuits avec un breuvage inédit : une infusion de menthe poivrée. Cette chose est si puissamment aromatique que non seulement elle éveille les papilles, mais distille des arrière-goûts subtils et inédits qui appellent d’irrésistibles “reviens-y, reviens-y”. C’est une menthe, certes, mais épicée. Poivrée, en bref. Elle porte bien son nom. Nous tenterons par la suite, mais en vain, d’en retrouver le goût initial. Au fil des nuits, nous ferons varier les proportions d’eau et de menthe sans jamais en retrouver vraiment le goût, désormais perdu. Jean-Luc finira sûrement par croire que c’est une galéjade, lui qui avait pris du café cette première fois. Mais quand on y a goûté c’est naturellement trop tard, et nous ferons, Jean-Christophe, Xavier et moi-même, des efforts désespérés et pathétiques pour retrouver l’ivresse de la première gorgée... Madeleine d’un Proust austral.

Puis vint la nébuleuse de la Carène, étendue, lumineuse, parcourue en son centre d’un gouffre obscur bordé de vapeurs. Perchée sur un bord, je distingue Eta Carinae. Je remplace le Panoptic 41 par tous les Naglers à ma disposition, successivement les 13, 9, 7, 5. C’est au 13 qu’elle est définitivement la plus belle. Les deux lobes sont finement détaillés. Des structures complexes sont visibles sur le lobe supérieur, vu du haut par ¾ : il y a des zones sombres au milieu de ce qui ressemble à un champignon atomique en expansion. L’ensemble reste petit à l’oculaire, mais les deux lobes restituent une impression de relief irrésistible qui donne la profondeur, l’échelle, la perspective. C’est un double champignon atomique en hologramme.

Pour rire je tente un filtre OIII, qui l’éteint complètement. Puis nous comparons avec le 406, qui montre une image moins fine. Il est plus à l’aise avec les objets diffus, étendus. Diamètre et rapport F/D court obligent.
Nous revenons au Gros. Xavier m’affirme : “ah oui, elle a changé, depuis la dernière fois...”. J’ouvre des yeux héberlués, dans le noir. Quoi, quand, comment, des changements ? Est-ce possible ? Mais oui : il la réobserve à chaque voyage austral, et au fil du temps et des périples peut discerner des modifications dans les détails de structure, notamment du lobe supérieur. En somme, le champignon atomique du dessus se dilate et les volutes de gaz expulsés de l’étoile se redessinent. Je suppose que Xavier en fait autant. Je suis tellement habitué à des échelles de temps inhumaines que je n’y aurais pas pensé. Mais là, je suis sincèrement épaté. Je tente une menthe poivrée pour me remettre : rien. Ah, il faudra que je revoie ça dans deux ans, si possible...

Xavier, toujours lui, nous exhibe d’ailleurs deux perles avec son 250 : NGC 3511 et 3513, dans le Cratère. Très jolie paire de galaxies. Elles sont discrètes, mais évidentes : la première est un fuseau effilé. La seconde est vue de face, mais elle est plus discrète encore. C’est une petite marguerite en spirale. Il faut s’y attarder un peu pour percevoir comme un début d’amorce de bras. L’ensemble est intéressant, on aurait presque l’impression qu’elle sont en interaction, mais non (?). En tout cas, leur différence de forme, de structure, donne là-encore une sensation de profondeur, de perspective. Mais c’est discret, discret... Pour Xavier elles sont évidentes, et pour un peu il s’agirait d’objets brillants. Nous écarquillons les yeux, décalons notre vision dans tous les sens, mais voilà le verdict tombe : nos lampes rouges seraient coupables d’être trop fortes. “Ce sont des lampes d’installation”, nous dit-il. Moui bon, c’est déjà la deuxième que j’acquiers dans l’espoir d’en trouver une faiblarde. J’avais pensé au vert, aussi, suite à une précédente remarque, d’un autre voyage. Mouais, rouge, vert... Une sorte de guirlande dans la nuit, tiens. Mes gentils camarades m’appelleraient “le petit Noël”... Je crois que je vais éviter, et trouver un vieux chiffon rouge pour envelopper la loupiote. Ca renforcera le côté “baroudeur des cieux du Sud”.

A suivre ici : http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/002117.html

1 - c’était ici : http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/001715.html


yapo
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queyras, france
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très bon croa, bien agréable à lire !


jcb77
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Hello
je lis votre recit comme la bible, un roman sous haute tension. un voyage inattendu.
Bref, un croa qui vaut l'ile au tresor.
on attend l'episode 3
jc
 
 
laurent13
Membre
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Salut,

Je me régale avec tes réçits, d'autant plus que ce que tu décris je l'ai vécu, donc je m'y retrouve complètement. En tout cas je rends hommage au talent que tu as de restituer les émotions ressenties, même dans les détails anecdotiques comme la montée à l'observatoire. C'est tout à fait çà, le chemin noir où on se perd en redescendant. L'ascension pénible après les repas copieux de nadine et le pisco. Que de bons souvenirs ...

Laurent Ferrero

[Ce message a été modifié par laurent13 (Édité le 30-07-2013).]
 
fred-burgeot
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Captivant, merci !

Fred.
 
JoelP
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Alpes du Sud
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Admirables descriptions, on pourrait dessiner la Tarentule sans la voir! Tu manipules les mots aussi bien que... les Naglers

Etonnant de percevoir des changements dans la Carène, sur de relativement si courtes périodes de temps! Tout comme la différence de vision de M42 d'un hémisphère à l'autre: du rouge dans le trapèze, je vais en rêver !!

Merci Pierre pour ce Récit d'Aventures Astronomiques - RAA ! le terme de compte-rendu ne sied pas à ta prose !!
 
 
Gordon
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Paris
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Un plaisir, retrouver par les mots ce familier et lointain ciel.

Voir les changements dans Éta Carina d'une année sur l'autre ? C'est étonnant, non ?

Pour l'éclairage, il faut du vert ! Pour le rouge, comme on y est peu sensible, cela nécessite une trop grande intensité pour y voir quelque chose...Tandis qu'avec le vert, une ampoule toute faible suffit, et les bâtonnets restent intouches ! C'est paradoxal, mais c'est ainsi.

 

 

[CROA-RAA] Reflets du ciel austral – Episode III : Sur la piste des rois défunts.
Episode précédent : http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/002103.html

Il y a toujours l’une ou l’autre sortie au cours d’un voyage, fut-il à but exclusivement astronomique. D’abord il serait dommage de se priver du pays, de ses couleurs, de l’atmosphère des lieux. Ensuite, il y a le spleen astronomique. Cet état où, après l’orgie stellaire, un vide s’installe. Les objets ont été perçus, vus, détaillés. Le ciel à la Dali a tourné dans un silence plus saisissant que toutes les tempêtes Shakespeariennes. Il ne reste que l’individu face au vide. Il faut sortir.

La piste à redescendre agit comme un sas, une étape finalement indispensable avant le retour aux villages puis aux routes, puis aux petites villes, puis aux centres commerciaux, étrangement déformés par une série de décalages : culturel, bien sûr, car nous sommes éloignés de nos bases occidentales. Cosmique ensuite, car nous descendons du lieu des contemplations pour d’autres observations, celle d’une activité humaine qui s’agite dans les couleurs de l’Amérique du Sud. Il y a le lent et le frénétique, en opposition. Il y a quelque chose de l’ethnologue qui adopte une position distanciée, comme extérieure à la réalité, étranger aux autres et finalement à lui-même.

Mais ici on est jamais bien loin des grands espaces, et nous arrivons à la Valle del Encanto encore hallucinés par une nuit très courte et la traversée de la Civilisation. Le site archéologique est remarquable, notamment pour ses pétroglyphes exécutés par la civilisation El Molle autour de -700 avant notre ère. Salvador, le sympathique gardien, nous accueille avec force salutations et congratulations : Raymond et lui visiblement se connaissent.
Dans un paysage de collines à cactus géants, on découvre des rochers gravés de figures précolombiennes. Quels rois, quelles reines se sont succédé ici ? Quels rituels ont-ils accompli, il y a 3000 ans, sous un ciel de début des mondes ?

Je me souviens de la nébuleuse de la Poule qui court, dans la Dorade, rond de fumée accompagné d’un croissant étoilé : peut-être s’agit-il d’une trace de patte de gallinacée, justement. Elle était bien visible mais délicate, il y avait des zones contrastées, d’autres moins, plus difficiles, il fallait utiliser la vision décalée. Les endroits les plus brillants apparaissaient comme des nuages de fumée verte, noyés dans une brume de vapeurs sûrement bien difficiles à dessiner.

NGC 2077 était plus facile à l’oeil, mais c’est un objet complexe, multiple, composite, comme des traces de pattes d’un chat, cette fois, qui aurait marché dans de l’encre verte. Quelques étoiles sont noyées dans les nébulosités. Un filtre UHC les éteint, mais révèle d’autres voiles de fumée, des zones tourmentées et de très fins détails.
Mais c’est une zone étendue et dense. NGC 2080 tout à côté y est impressionnante, brillante, irrégulière, difficile à décrire. L’ensemble beigne dans une clarté diffuse qui mérite tout à fait la qualification de nébuleuse à émission : on perçoit le rayonnement, on sent les énergies à l’œuvre, ce ne sont pas de simples réflexions ; la matière y est excitée, vibrante, vivante. Les indiens de la civilisation El Molle ne pouvaient percevoir ces fumées, mais sous le ciel de cristal, dans la Dorade, le grand nuage de Magellan émettait déjà ses rayonnements complexes qu’aucune humanité n’avait encore décrits.

L’excursion se poursuivit. Raymond sautait de rocher en rocher avec la précision d’un cabri des montagnes du sud. El salto del Indio, “le saut de l’indien” : nous abordions justement des excavations qui pouvaient servir à des bains rituels quand la rivière était à un niveau plus élevé. D’autres pétroglyphes montraient clairement des tenues de cérémonie, des parures, des têtes couronnées.
Mais aucunes d’elles n’a vu ces deux galaxies dans le Centaure, NGC 4945 et 4976, un long fuseau de fumée grise accompagné d’une petite tache de brume, que je n’arrivais pas à réunir dans le même champ. Avec le 406, Jean-Luc y parvenait, lui. On y apercevait des zones de densités différentes. La première vue par la tranche, l’autre de face, encore un couple qui restitue une sensation de profondeur, d’espace et de lointain.

Aucun roi ne vit NGC 1531 et 1532, perchées sur le fleuve Eridan, la première dévorant la seconde. Cette fois il s’agissait d’un couple de galaxies physiquement associé. NGC 1532 semble tout juste perchée au bord de sa grande sœur canibale, ou déjà en train de chuter, aspirée par la marée gravitationnelle.
Ni NGC 3621, au T406, petite galaxie vue de trois-quart. Dans l’Hydre, c’est une toute petite chose, minuscule condensation de brume givrée qui laisse deviner ses bras spiraux en vision décalée.

Mais sûrement les indiens ont-ils perçu NGC 2516, “The diamond cluster”, brillant amas ouvert de la Carène. Aux 15x70 trois rubis y reposent sur un lit de gemmes blanc-bleutées, très claires. Les teintes sont franches. Au C14 l’ensemble, splendide, déborde du Panoptic 41. L’impression de profondeur, de 3e dimension, est évidente. La vue, plongeante.

...« Galaxie » ! Tel fut le cri poussé une nuit dernière, comme on crie « terre en vue », par un observateur esseulé. Elle était elliptique, elle était faible mais évidente, elle était belle. NGC 5101, vue de face, ses bras spiraux bien perçus au centre, l’ensemble entouré d’un disque, d’un anneau faiblement deviné…

Pour l’heure nous abordions “Las piedras tacitas”, larges pierres creusées de trous de mortiers où les grains étaient broyés. Dans ce paysage vallonné bordé de cactus géants, tout est immobile. Les bruits de la vie quotidienne, les chants, les danses et rituels antiques se sont tus. C’est un paysage de western du sud, sans plus aucun indien. Seuls quelques cow-boys occidentaux viennent encore en escalader les pentes, jouer à cloche-pied sur les rochers, et se prendre mutuellement en photo aux côtés des rois et des reines d’autrefois.

Xavier s’était gentiment évertué à nous montrer des objets faibles, mais vraiment faibles, à nous aux lampes frontales trop fortes et aux yeux trop habitués à des nébulosités certes pâles, mais évidentes. Il avait insisté, l’autre soir, pour que nous tentions de percevoir la Tête de Cheval. Successivement au C14 puis au T400, nous avions tenté de sentir plus qu’on ne voit, quelque chose d’obscur sur fond de ciel noir. Une trace d’encre de Chine sur du Canson ébène. Ou encore, devrais-je dire, le soupçon d’une trace de charbon tout au fond d’un puits de mine. Et en effet, avec le filtre interférentiel ad hoc, quelque chose se détachait faiblement, comme un peu de rien sur du néant. Etrange sensation visuelle. Plutôt qu’une tête de cheval, un trou de serrure. Qui n’ouvrirait sur rien. Mais bon, c’était pour le fun, comme on dit.

A côté NGC 5189, dite « S » nebula, pourtant faible, semblait moins chétive. Cette nébuleuse planétaire dans la Mouche est remarquable pour sa structure en « s », justement. C’est, comment dire, un voile de vapeur très légèrement brillant, avec une amorce de structure. Barrée d’un soupçon de torsade. Frêle, très frêle esquif sur les mers du sud. Xavier dessine, Jean-Luc lui demande s’il prend une photo, et devant son air interloqué en rajoute : «mais tu le vois en visuel ? ». La nuit s’étire en riant.

Jean-Luc et Jean-Christophe forment désormais un tandem redoutable pour le repérage et l’acquisition des cibles. Le premier excelle dans l’interprétation des cartes, tel un augure du ciel austral, tandis que le second brille (si l’on peut dire, mais alors d’un éclat rouge…) dans le maniement du 406. En somme l’un pointe, l’autre tire. Un véritable go-to humain, ou plutôt un push-to puisqu’il s’agit d’un Dobson. Bref, c’est un duo gagnant qui égrène les objets comme des perles au fil de la nuit.

Il y eut NGC 2997, pâle soupçon de givre vu de face, ses bras spiraux perçus au T400. Comme figée, prise de face dans les phares de l’éternité.
Je me souviens de IC4402, petit ovale de brume allongé, faible, lointaine et solitaire dans le Loup. Au 400 en vision décalée je crus percevoir une zone horizontale plus sombre, une séparation entre des bras spiraux ? Quoi qu’il en soit c’était une petite chose, perdue à une distance inconnue.

Vers 4h, 3 météores brillants avaient éclaté du Sagittaire pour rayer de diamant la Voie lactée phosphorescente, leurs traînées persistantes rivalisant un moment encore avec le centre galactique. Il était temps d’aller glaner quelques heures de sommeil avant le départ pour la vallée enchantée.

Le dernier pétroglyphe visité représentait des disques suivis de longues traînes parallèles : des comètes. Il nous avait fallu un moment pour réaliser l’évidence, mais nous en convînmes finalement tous : c’était bien elles, quatre ou cinq comètes presque alignées, gravées là en mémoire d’un passage dans l’Antiquité. Jeu de correspondances entre les observations du passé et celles du présent, clin d’oeil par-dessus les siècles.
Nous repartîmes ensuite pour aborder la prochaine nuit blanche. Mais blanche de millions de soleils.



 
serge vieillard
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Elancourt (78) france
3595 messages
Envoyé 01-09-2013 08:39     

 

Vraiment intéressant, d'autant plus intéressant que nous avons campé dans le Vale del Encanto il y (déjà) un mois, revu les 2 gardien (dont l'un fait le miaulement du chat) et que nous y avons fait nos premières observations astro, ajoutant à la magie des lieux, le fait incongur d'être dans cet endroit si particulier.
Mais on s'est demandé où était cette ferme aux étoiles où vous allez régulièrement vous installer. On s'est dit qu'il aurait été sympa d'aller rendre visite à ce couple et voir leurs installation. SI c'est proche du Vale del encanto, ça doit être peut après Ovale, sur la piste qui relie la vallée de l'Elqui ?!? On y a entraperçu quelques coupoles sur la droite de la piste. Est-ce l'endroit ? (bon, un tour sur Internet répondrait à la question....)
 
Vesper
Membre
Alsace, Strasbourg
56 messages
Envoyé 01-09-2013 16:55    

 

...Merci ! Observer dans la Valle del Encanto a dû être une expérience surréaliste en effet (mais il y a toujours le risque d'embrasser nuitamment un cactus géant, faut se méfier : ils sont particulièrement velus...).

Sinon le lieu des contemplations est ici : 30° 32' 2.00" S 70° 47' 47.00" W .
Point de coupoles à l'horizon, mais un C14 (un exemplaire qui sort du lot) sous abri à toit roulant, un Dobson 400 de bonne facture, un 300 (mais Lightbridge, lui...), un C8, une flopée de Naglers, une myriade d'accessoires, et... un horizon sans limites où poser le matériel de voyage perso.

En général je ne poste pas de liens, mais bon : d'une part je n'ai aucun intérêt personnel dans la chose, d'autre part j'estime que quand c'est bien il n'y a pas de raisons de ne pas le dire. Donc puisque tu le demandes, voici :
http://astrochili.e-monsite.com/

Ah oui : c'est un lieu de Paix.

PS : j'ajoute que Laurent Ferrero présente le site au début de son ouvrage "Splendeurs du ciel profond", volume 5 "Atlas du ciel austral".

[Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 01-09-2013).]
 
jcb77
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Seine et Marne - France
3790 messages

hello,

encore un récit qui fait trembler de désir....

bravo pour cette prose bien savoureuse, à relire au coin d'un bon feu....

P-S : tu fais référence au dernier post, je le ferais également pour le 1er et le 2ème, histoire de mettre l'histoire bout à bout.
jc
 
Vesper
Membre
Alsace, Strasbourg
56 messages

Salut,

Merci pour ton commentaire !
Un lien vers l'épisode précédent figure au début de chaque épisode, ce qui permet de retricoter le fil...
Le coin du feu n'est plus très loin...

Amicalement,
Pierre

 

 

[CROA] Reflets du ciel austral – Episode IV : Ombromanies au pied des Andes - Envol

 

J’ai calé. J’ai eu mes soucis, les vrais, les authentiques, mais pas d’excuses ni de faux-semblants : j’ai calé. Rattrapé par le quotidien et les problèmes nordiques, ceux qui usent, tuent le désir, éteignent la muse. Point.

Pour ceux que cela intéresserait encore, voici les les liens des épisodes précédents. Pour les autres je comprends.

Episode I : http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/002098.html
Episode II : http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/002103.html
Episode III : http://www.astrosurf.com/ubb/Forum15/HTML/002117.html


J’en ai déjà beaucoup dit, je crois, sur le ciel de cristal. Les étoiles qui se lèvent nettes et sans scintiller au ras de l’horizon. J’ai tenté de raconter la voie lactée, tresse immense et écrasante, tourmentée de volutes plus noires que le noir du ciel chilien lui-même, et qui lui donnent cette sensation de relief et de profondeur uniques.

Mais ai-je parlé de nos jeux d’ombres chinoises ? Ah certes le lecteur pourra s’étonner : « quoi, comment, des chinois au Chili ? Encore une galéjeade, une éxagération post-voyage, un embellissement : le gars nous mène en bateau ». Eh bien non : des ombres chinoises, je le maintiens. Et à l’ombre de la voie lactée, en plus.
Voici le tableau : quatre types au milieu de la nuit, et surtout au milieu de nulle part. Dans les lointains, le jappement du renard. La nuit est avancée, on est entre une et deux heures du matin, quand les premières vraies fatigues s’imposent. Bref, c’est l’heure de la collation. Jean-Christophe, Xavier et moi-même tentons pour la nième fois de retrouver le goût de la menthe poivrée, je ne m’y attarderai plus (« mets un peu plus d’eau… Non, plus de menthe te dis-je… Oui mais, avez-vous pensé à la température de l’eau ? Il faudrait qu’elle soit frémissante, je l’ai lu quelque part… »). Bref, j’ai déjà conté la madeleine de Proust australe. Jean-Luc, qui a compris que tout ça n’était que calembredaines, se mijote un café dans un coin en fermant les yeux sur son butagaz. Enfin au moins un œil, et le bon.
Nous sommes là, perchés sur le pont de l’observatoire. Il y a l’extrémité du toit roulant. Et subitement je m’aperçois que j’y vois mon ombre. C’est bien la mienne : quand je bouge, elle bouge aussi. Incroyable. Ici, dans cette nuit d’encre sur les marches des Andes, au milieu de la nuit : j’ai une ombre, portée par les soleils de la voie lactée ! Et nul besoin de vision décalée.
Nous nous amusons quelques instants à tenter de reproduire des figures locales : le paon, la colombe, le toucan. Pour la poupe ou les voiles, c’est plus difficile, d’accord. Et bon, en toute honnêteté : bien malin qui distinguerait le paon du toucan, hein. Ou le loup du renard. Pour la règle, c’est plus facile, je ne dis pas. Mais il faut avouer que l’effet est là, et qu’il est étonnant : jamais je n’aurais cru pouvoir improviser un théâtre d’ombres chinoises en pleine nuit. Mais c’est la nuit australe, magique et qui peut tout ! Ombromanies au pied des Andes…

Plus tard je descends au 406. Dans le Grand Chien qui se couche, le casque de Thor déploie quatre extensions. Deux faciles, au nord. Deux autres plus diffuses, au sud. Le centre forme une bulle, bien structurée, sa partie « avant » plus brillante. Mais l’objet est déjà bas sur l’horizon.

Je remonte à l’observatoire et erre dans la Carène, qui coule dans l’horizon sud-ouest.

L’amas de la pelotte d’épingles, ou « football cluster », ou encore plus sérieusement NGC3532, révèle au C14 accompagné de son indispensable Panoptic 41 quelques dizaines d’étoiles dispersées, blanches, mais j’ai noté dans mon carnet une poignée d’étoiles jaunes qui contrastent comme des boutons d’or sur un lit de diamants.

Dans les Voiles, NGC3132 offre une vision très intéressante : cette nébuleuse planétaire apparaît comme une petite fleur vue de face, avec des variations de luminosité et de densité dans ses pétales. La partie nord semble plus brillante, mais de façon non uniforme : il y a comme des marbrures, ou un effet pommelé. L’ensemble est à la fois assez doux mais contrasté, petit mais détaillé. Vraiment très joli.

Xavier passe furtivement se coucher, effectuer un de ses fameux cycles de sommeil. Je crois l’entendre murmurer « carpe noctem », ou bien ai-je rêvé…
Car l’observatoire est un esquif sur une marée stellaire. Nous y pratiquons le régime de la couchette chaude : chacun son tour, fonction non pas des coups de mer, mais bien des coups de barre.

Je me souviens, et mon carnet de notes surtout, que plus tard nous avons observé M 47 et NGC 2423 avec le Strock de Xavier, dans la Poupe qui à l’ouest sombre à reculons. L’amas ouvert montre une belle étoile orangée, solitaire, qui détonne avec son environnement stellaire. En son nord apparaît le petit amas contrasté NGC 2423. L’ensemble est un peu dispersé mais intéressant, avec ce petit paquet nordique.

Un peu plus loin nous jetons également un œil, forcément le bon, sur M46 : c’est un pétale un peu diffus, un petit amas perdu que la distance et la solitude pâlissent.

Nous passons dans la Mouche, faire signe à la S’nebulae : son S majuscule est bien visible, il y a des détails, le centre est plus brillant, le sommet du S aussi. La structure est presque filamenteuse, effilochée par endroits… Une étoile ponctue le S en son nord, nord-ouest.

Alors que Xavier tente un objet particulièrement difficile (mais je n’avais pas noté lequel…), Jean-Luc lui demande : - “tu le vois en visuel” ? Et Jean-Christophe de surenchérir : - “tu le prends en photo ?”. Xavier qui prend des photos en visuel : fatigues et fous-rires de milieu de nuit...

De retour à l’observatoire je continue dans le Serpent avec M16 et la nébuleuse de l’Aigle, ou IC4703, qui déborde du champ. La nébuleuse à émission est bien visible, facile au C14. Il y a comme un effet pommelé, des plages brillantes parcourues de zones sombres. Le cœur est plus structuré. Il y a un large golfe obscur, au nord.

Un peu plus loin je trouve M17. On y voit sans mal des zones de densités différentes, surtout au centre : plus opaque, la matière semble s’y être agrégée et ,si j’ose dire, exhibe facilement le cygne promis.

En passant dans le Sagittaire je tombe presque par hasard sur M21 : c’est un amas ouvert peu structuré, j’y vois surtout une sorte de pendentif formé par trois ou quatre pierre brillantes. Je le prends au passage, comme on prendrait encore une breloque dans la salle aux trésors.

Je crois toujours entendre murmurer « carpe noctem, carpe noctem ». J’ai des hallucinations auditives pour sûr. Ca doit être en correspondance avec le décor hallucinant, de nuit, sous ce ciel qu’un Dali dément et sous hallucinogènes aurait peint furieusement.

Mais plus prosaïquement et avec tout ça je manque me prendre le porte oculaire sur les pieds, y compris tout le bazar, renvoi coudé, tube allonge, et boîtier reflex. C’est que j’ai tenté une photo, sur une cible pourtant facile dont je tairai le nom. Mais fichtre, le point reste hors d’atteinte du plan focal, on m’a vendu un tube trop long, ou trop court, ou les deux (!) et qui coulisse avec du jeu dans le porte oculaire, d’où une tentative de montage en accouplant un second tube avec du scotch, d’où la catastrophe évitée de justesse. Et puis le crayford est sorti de la crémaillère, ou la crémaillère a déjanté, ou un truc dans le genre.
Ah il y a trop de médiation technique en photo, trop de bidules, on est concentré sur le matériel, pas sur le ciel. Je me contenterai de quelques images d’ambiance.

Un petit tour au 406 pour revisiter un grand classique dans le Lion : le trio du même nom prend ici un autre visage. Au nord, ce sont deux galaxies brillantes et structurées qui m’attendent. La première allongée, vue de trois-quart, montre un cœur brillant et un fuseau contrasté. La seconde vue de face révèle sans difficulté deux bras faciles et entourés de voiles de coton. Quant à la troisième, plus à l’écart au sud, vue par la tranche, il me semble distinguer sur toute sa longueur une zone plus sombre. Il y a de la perspective et des vertiges dans cette vision.

Dans la Vierge, la chaîne de Markarian égrène son chapelet de galaxies. Certainement une des plus belles observations de ce périple. Encore un objet boréal revisité, mais la vision est ici « Canelillesque » : c’est un collier de perles pâles et cotonneuses. Le champ est insuffisant, il faut déplacer un peu le gros Dobson, l’étreindre et danser doucement ensemble. J’avais noté dans mon carnet : « 8 ou 9 galaxies sûres ».

Dans le Chevelure de Bérénice, M99 et ses bras spiraux sont bien vus de face, l’un d’entre eux plus écarté des autres. C’est un très joli tourbillon galactique, structuré, contrasté. On s’imagine y percevoir un mouvement spiral. Qui eût cru qu’une supernova l’illuminerait moins d’une année plus tard… ?

Toujours au 406, en voisin, M64, the black-eye galaxy, hausse un sourcil. Au dessus d’un noyau assez brillant, il y a comme une virgule, ou un sourcil noir luisant… Il y a un œil, non pas dans la tombe comme disait Hugo, mais dans cette belle petite galaxie spirale vue de trois-quart.

Jean-Christophe et Jean-Luc excellent dans le maniement du 406. Et il y a un partage des tâches, une sorte de division de travail : l’un pointe (sur les cartes) et l’autre tire (au sens propre), si l’on peut dire. Un redoutable go-to humain.
C’est ainsi qu’ils dénichent le tout petit amas ouvert Ferrero 28 : une toute petite poignée de brillants bleus et blancs, oubliés là par un petit Poucet cosmique...

De belles centaurides rayent le ciel de traits de diamants. Mon carnet de notes en conserve la trace : “une belle traînée persistante”, ai-je noté. Il y eut en effet comme un signal de fumée qui persistait dans le ciel...

En fin de séjour, la Lune se couche alors que nous nous levons : bonne idée. Mais je fais quelques belles observation lunaires au C14 : à l’oculaire du Panoptic 41, j’ai l’impression d’être au hublot d’une capsule Apollo. Un long moment, j’ai pu me prendre pour un héroïque conquérant de l’inutile.
Il y eut également de belles observations planétaires : Saturne, dans la Balance et proche de l’opposition, offrait des visions Cassini-esques.

Mais il fallut redescendre de la colline, définitivement pour cette fois. On en revient d’ailleurs toujours stupéfait et un peu groggy : là-bas le ciel est sans pudeur. J’ai un peu de mal, ici au nord, à concrétiser ma soif astronomique : il n’y a pourtant pas de raisons, aucun snobisme austral idiot, le ciel boréal a toute sa beauté. Alors bien sûr, sortir des pollutions lumineuses les plus grossières n’est pas aisé. Et il vaut mieux que les belles nuits tombent le week-end sinon, en semaine, gare aux lendemains de boulot qui déchantent ! Mais ce n’est pas ça. Peut-être manque-t-il quelques astros-amis et un peu d’émulation.

Quoi qu’il en soit, et après un peu plus d’un an, achever le récit me permet de boucler ce périple, et j’espère d’en ouvrir un prochain.
Merci en particulier à Nadine et Raymond pour leur accueil si chaleureux, et aux astro-potes austraux. Carpe noctem, carpe noctem les gars...

Voyage astronomique au Chili, La Canelilla, du 3 au 19 avril 2013.


[Ce message a été modifié par Vesper (Édité le 02-06-2014).]
 
jcb77
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4032 messages

 

Ton récit en 4 épisodes vaut son pesant d'or.

Le seul remède a tous les soucis du quotidien nordique est d'y retourner et nous raconter encore de belles histoires

Merci pour ces pages d'écriture qu'on lit et relit a chaque fois avec beaucoup de plaisir.
Jc


PS . J'espère que d'autres récits viendront et que tu ne nous abandonneras pas en chemin.
 
xavierc
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Envoyé 03-06-2014 22:28    

 

Merci Pierre pour ce récit qui boucle ton périple.

Et malgré les soucis du quotidien et la lassitude, la verve et l'émotion sont toujours là.

J'espère bien que nous y retournerons!

J'ai fait de la pub pour l'hacienda des étoiles à ma conférence des RAP samedi dernier, pourvu qu'il n'y ait pas 1 an d'attente pour réserver désormais là-bas! ;-)

Amicalement

Xavier
 
serge vieillard
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Pour sûr, ya l'ambiance de ces contrées caillouteuses et du poudroiement des étoiles.
L'ombre de la Voie Lactée ? avez-vous remarqué combien l'orientation du sujet change l'aspect ?
Warrrfff !fô y revenir !
 
xavierc
Membre
Val de Marne
895 messages
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Envoyé 10-06-2014 12:04   

 

Oui oui oui, l'ombre de la Voie Lactée est vraiment évidente! Mais ce n'était pas la première fois que je la voyais (vue en France dans les années 90 au Mont Chiran).

 
SERGIT
Membre
Montmeló (Barcelone - Catalogn
934 messages
Envoyé 12-06-2014 13:25

 

Magnifiques tes rapports Vesper.

Salutations.

Sergi.
 

 

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